Femme. Ce mot désigne en latin « celle qui donne le souffle », « la vie ».

Femme. Ce terme renvoie en République Démocratique du Congo, à un vocable plus douloureux : souffrance, pauvreté, viol, mépris, rejet, mutilation, mort. Alors que la condition de la femme n’est pas des plus favorables dans toutes les sociétés et cultures du monde, elle est des plus humiliantes en RDC.

FEMMES VIOLÉES : UNE PROFONDE DESTRUCTION.

Tragiquement baptisée « la capitale du viol », la RDC est dévastée par des horreurs routinières. Rien qu’en 2013, on estimait que plus de 500 0001 femmes avaient été victimes d’agressions sexuelles depuis le début des troubles de l’Est du Congo. Les conflits entre les milices armées, les rebelles et l’armée sont toujours d’actualité. Ainsi, des milliers de femmes vivent l’enfer au quotidien, tandis qu’elles sont détruites dans leur âme et leur corps par des actes d’une immense cruauté. Non satisfaits de commettre un tel crime, les agresseurs menaçants et très souvent armés agissent avec une extrême violence : ils introduisent des objets contondants, des bouts de bois ou tire des balles dans les vagins de leurs martyrs.

Louis Guinamard, journaliste et auteur du livre « SURVIVANTES, Femmes violées dans la guerre en République Démocratique du Congo », a recueilli de nombreux témoignages de femmes ayant vécu ces barbaries. Il relate les histoires invraisemblables de nombreuses victimes, de tout âge. Les viols sont individuels et / ou collectifs, commis par des militaires armés ou des civils, à une ou plusieurs reprises. La méchanceté des pénétrations révèle une perversion et une animosité incontestables.

Les conséquences sont sans précédent.

Celles qui ne décèdent pas à la suite de ces attentats d’un nouveau genre, supportent des préjudices physiques atroces : des infections génitales mortelles, l’incapacité de contrôler l’écoulement d’urine ou de matières fécales2, des odeurs nauséabondes en permanence, des maladies sexuellement transmissibles telles que le VIH, des douleurs physiques aigues.

De plus, la plupart d’entre elles doivent faire face au départ de leur mari, destitué de toute virilité et honteux de ne pas avoir su défendre leur épouse. Abandonnées, le rejet de leur entourage leur rappelle l’opprobre qu’elles véhiculent en elles : celui d’une défloraison insultant les valeurs morales et la réputation familiale. La communauté les fait se sentir responsables. Les propos d’Annonciate, l’une des victimes, en témoignent : « Tu es pointée du doigt, finalement, personne ne veut d’une femme violée»3. Le tissu familial mais aussi social est alors lacéré.

S’en suit une misère démesurée.

Parfois handicapées et ne pouvant plus se déplacer, elles sont forcées de rester alitées de nombreux mois dans des positions incommodes, en attendant une amélioration de leur état de santé. Pour celles qui avaient des enfants, elles ne sont plus aptes à subvenir à leurs besoins. De ce fait, leurs progénitures sont confiées à des membres de la famille (lorsqu’ils acceptent de les prendre en charge).

Dans de nombreux cas, elles ne peuvent plus retourner au champ pour espérer récolter de quoi vivre, et tout ce qu’elles possédaient leur a été pillé au moment de l’agression, les laissant sans ressources financières. Lorsqu’elles ont la force ou ont été persuadées de porter plainte contre leurs agresseurs, très peu de condamnations sont prononcées. Alors que la justice nationale condamne ces actes de cruauté depuis une loi du 20 juillet 20064, les autorités judiciaires n’ont ni les moyens ni même la volonté d’appliquer le droit, tant les obstacles (manque de preuve, d’équipement informatique, réseaux de communication limité…) et la corruption (peur de représailles, dessous de table, hautes autorités impliquées) semblent insurmontables. Le manque de condamnation laisse ainsi les victimes sans réparation ni dédommagement.

Une autre situation se présente encore.

En plus de devoir faire face à des difficultés économiques, les femmes ou les jeunes filles qui accouchent à l’issu d’un viol ont un traumatisme psychologique. En effet, si elles n’ont pas fui face à cette naissance ou avorté clandestinement (la loi congolaise interdisant cette pratique) elles voient en leur enfant le fruit de leur agression sexuelle. Une ulcération de plus. Celles qui consentent à le garder ne l’ont pas pour le moins rejeté. Pour elle, l’humiliation est profonde et de nouvelles vies sont déjà détruites.

Le Dr Denis Mukwege œuvre en faveur des victimes de viols à l’hôpital de Panzi, situé à l’Est du Congo. Il y opère des « champs de bataille », tente de réparer des cœurs brisés et s’efforce de soutenir des vies éteintes. Se battant pour sensibiliser la communauté internationale sur ce crime contre l’humanité, il déclara au Parlement Européen :

« Chaque femme violée, je l’identifie à ma femme. Chaque mère violée, je l’identifie à ma mère et chaque enfant violé, je l’identifie à mes enfants»5. 

FEMMES MEURTRIES : RÉVOLTÉES DANS L’ÂME.

Certaines femmes, révoltées par ce qu’elles ont vu ou subi, s’engagent dans des groupes armés6. Assoiffées de justice, elles abandonnent les principes moraux auxquels elles croyaient pensant agir au nom du peuple pour obtenir la paix. Marquées par la douleur d’avoir été violées, d’avoir perdu un proche, ou encore d’assister à la destruction massive de leur peuple, elles s’engouffrent dans une nouvelle souffrance : celle des pillages pour subsister, des guerres pour riposter ou attaquer, des meurtres permanents. Le traumatisme de ces femmes ne fait que s’amplifier. Pour elles, il s’agit également d’éviter de faire partie des centaines de milliers de victimes de viols lorsqu’elles n’ont pas connu d’agression sexuelle. Toutefois, c’est avec la peur au ventre, la colère et l’amertume dans le cœur qu’elles vont au front chaque jour. Les responsables des groupes qu’elles intègrent ne manquent pas de leur rappeler d’ailleurs qu’elles doivent penser et agir comme des hommes, en laissant toute fragilité de côté.

Pour autant, quelques combattantes, refusent de perdre courage. Elles nourrissent encore l’espoir de vivre en paix, de se marier et de fonder une famille. Mais là encore, en RDC, les femmes qui donnent naissance sont confrontées à la mort.

 

FEMMES MÈRES : QUAND ACCOUCHEMENT RIME AVEC MORT ET EMPRISONNEMENT7.

L’UNICEF estime qu’en RDC environ 104 nouveaux nés sur 1 0008 naissances meurent avant l’âge d’un an. D’autres sources informelles montent à 158 décès pour le même nombre de naissances. Handicap international a également relevé 1379 décès de femmes à la suite d’un accouchement en 2016. Cette réalité est le résultat d’un manque de moyens criant, dans un pays qui, pour rappel, est l’un des plus riches au monde en termes de ressources naturelles.

A l’hôpital général de Kinshasa, le plus réputé du pays, les difficultés sont légions : coupures d’électricité10, équipements archaïques, personnel mal payé et parfois mal formé, expositions aux infections, conditions insalubres, manque de médicaments… De plus, les mères n’ont pas les moyens de payer les soins médicaux dont elles ont bénéficié. En effet, avant d’accoucher, beaucoup n’ont pu avoir qu’une consultation prénatale, sur les sept conseillées en cours de grossesse. Après l’accouchement, plusieurs d’entre elles deviennent des otages. N’ayant pas les moyens de payer les frais d’accouchement, ce dernier fait de ces nouvelles mères des prisonnières jusqu’au paiement de leurs dettes.

Certaines associations, telles que « BOMOYI », « SAVE THE CHILDREN », « SOFEPADI » tentent de venir en aide à ces femmes par le biais d’actions concrètes. Toutefois, les besoins demeurent considérables.

 

CONCLUSION

Être une femme au Congo assure une agonie permanente dans certaines parties du pays. Cette affliction perdure encore en 2018. Des centaines de milliers de femmes ont urgemment besoin d’être secourues, soutenues et écoutées afin de vivre dans des conditions acceptables.

Toute aide apportée, aussi infime puisse-t-elle paraitre, ne sera jamais de trop dans ce pays où tant de personnes l’attendent. En écho aux paroles du Dr Mukwegue, « Chaque femme en souffrance au Congo et partout ailleurs, doit être identifiée comme notre prochain». Ne restons pas indifférent, car cette insensibilité ne fait qu’ajouter au mal, déjà bien enraciné.

 

(1)https://www.ouest-france.fr/le-calvaire-ignore-des-femmes-violees-au-congo-290508
http://afrique.lepoint.fr/actualites/femmes-viols-en-afrique-une-realite-tres-preoccupante-22-04-2016-2034199_2365.php
https://unstats.un.org/unsd/gender/chapter6/chapter6.html
(2) « SURVIVANTES, Femmes violées dans la guerre en République Démocratique du Congo» de Louis Guinamard, Les Éditions ouvrières, p. 14.
(3) SURVIVANTES, Femmes violées dans la guerre en République Démocratique du Congo» de Louis Guinamard, Les Éditions ouvrières, p. 29.
(4)http://www.droit-afrique.com/upload/doc/rdc/RDC-Code-1940-penal-modif-2006.pdf-
Section II : Des infractions de violences sexuelles, paragraphe 2 : Du viol, Article 170.
(5)Documentaire« L’homme qui répare les femmes, la colère d’Hippocrate »
(6)https://www.youtube.com/watch?v=POqd5nG9K9s
(7)https://www.youtube.com/watch?v=d5qWo_LgSYw
(8)https://www.unicef.org/drcongo/french/overview.html
(9)https://www.handicapinternational.be/fr/actualites/accoucher-en-toute-securite-a-bumbu
(10)http://congo.unfpa.org/fr/news/sortir-de-l’indignité-une-charte-d’accouchement-pourquoi-faire%C2%A0