𝟏𝟖𝟖𝟓-𝟏𝟗𝟎𝟖, 𝐄𝐓𝐀𝐓 𝐈𝐍𝐃𝐄𝐏𝐄𝐍𝐃𝐀𝐍𝐓 𝐃𝐔 𝐂𝐎𝐍𝐆𝐎 : LE RÈGNE DE LA CUPIDITÉ SUR TOUT UN PAYS.

Au cours de l’histoire, l’amour de l’argent a poussĂ© des individus Ă  bafouer les droits humains pour augmenter leurs profits. L’esclavage, le colonialisme et la politique de certaines entreprises en sont des exemples.

Sous le rĂšgne de LĂ©opold II, le peuple congolais a Ă©tĂ© victime d’un des plus grands crimes contre l’humanitĂ©. Un massacre ayant coĂ»tĂ© la vie Ă  environ 10 millions de personnes. Ce rĂ©cit rĂ©vĂšle le paroxysme de la cupiditĂ©, un flĂ©au dont tout homme doit se garder. 

𝐐𝐔𝐀𝐍𝐃 𝐋’𝐀𝐌𝐎𝐔𝐑 𝐃𝐄𝐒 𝐑𝐈𝐂𝐇𝐄𝐒𝐒𝐄𝐒 𝐂𝐑𝐄𝐄 𝐔𝐍 𝐍𝐎𝐔𝐕𝐄𝐋 𝐄𝐓𝐀𝐓 

« La Belgique n’exploite pas le monde. Nous devons lui en donner le goĂ»t » (1). Cette dĂ©claration de LĂ©opold II (1835-1909), roi des Belges, en dit long sur sa dĂ©termination Ă  obtenir un territoire pour le dĂ©pouiller. Ayant fermement rĂ©solu d’obtenir une colonie comme les autres puissances europĂ©ennes, il s’engagea dans la conquĂȘte d’un territoire d’Afrique centrale d’une superficie de plus de deux millions de kmÂČ. Toujours dirigĂ© par les autochtones Ă  l’époque, cette zone abritait plusieurs centaines d’ethnies possĂ©dant des langues et coutumes diverses. Ces peuples, qui avaient subi de plein fouet la traite nĂ©griĂšre jusqu’au dĂ©but du XIXĂšme siĂšcle, s’apprĂȘtaient Ă  entrer dans une pĂ©riode encore plus sombre. 

PrĂ©textant vouloir dĂ©fendre les droits des autochtones, le roi LĂ©opold II crĂ©a l’Association Internationale du Congo. Cette derniĂšre affichait des motifs bien nobles, Ă  savoir civiliser les peuples de l’Afrique centrale, les libĂ©rer du joug esclavagiste arabe, crĂ©er des infrastructures favorisant le commerce dans la zone etc.

Du 15 novembre 1884 au 26 fĂ©vrier 1885, les principales puissances europĂ©ennes ainsi que les Etats-Unis se rĂ©unirent Ă  Berlin pour une confĂ©rence, oĂč ils s’accordĂšrent sur la dĂ©coupe de l’Afrique. Les nations reprĂ©sentĂ©es encouragĂšrent l’initiative du roi de la Belgique et de son association. D’une part, elles prĂ©fĂ©raient accorder la gestion de ce territoire Ă  une nation neutre. D’autre part, elles pensaient pouvoir y tirer quelques bĂ©nĂ©fices, comme le montrent ces extraits de la ConfĂ©rence de Berlin (2) :

‱ Article 1 : « Le commerce de toutes les nations jouira d’une complĂšte libertĂ© ».
‱ Article 5 : « Toute puissance qui exerce ou exercera des droits de souverainetĂ© dans les territoires susvisĂ©s ne pourra y concĂ©der ni monopole, ni privilĂšge d’aucune espĂšce en matiĂšre commerciale ».
‱ Article 9 : « ConformĂ©ment aux principes du droit des gens, tels qu’ils sont reconnus par les Puissances signataires, la traite des esclaves Ă©tant interdite [
] les Puissances [
] dĂ©clarent que ces territoires ne pourront ni servir de marchĂ© ni de voie de transit pour la traite des esclaves de quelque race que ce soit ».

Quelques semaines aprĂšs la ConfĂ©rence, naquit officiellement l’Etat IndĂ©pendant du Congo (EIC), avec pour souverain absolu LĂ©opold II. Pour assurer le succĂšs de son projet colonial, il avait sollicitĂ© l’aide de l’explorateur Henry Morton Stanley (1841-1904) qui dessina les contours du nouvel Ă©tat et obtint (par ruse) la cessation des terres des chefs de villages. Les frontiĂšres du territoire congolais se consolidĂšrent au travers d’accords signĂ©s avec les puissances coloniales riveraines, et des batailles menĂ©es contre les opposants, notamment les Arabo-Swahilis dans la partie Est de l’Etat. Pendant 23 ans, LĂ©opold dirigea le pays Ă  distance, Ă©tant donnĂ© qu’il ne s’y dĂ©plaça jamais. Dans les faits, il s’écarta trĂšs rapidement des principes philanthropes autour desquels il avait construit sa bonne rĂ©putation. 

𝐐𝐔𝐀𝐍𝐃 𝐋𝐀 𝐑𝐄𝐂𝐇𝐄𝐑𝐂𝐇𝐄 𝐃𝐄 𝐏𝐑𝐎𝐅𝐈𝐓𝐒 𝐈𝐍𝐒𝐏𝐈𝐑𝐄 𝐋𝐀 𝐏𝐈𝐑𝐄 𝐃𝐄𝐒 𝐁𝐀𝐑𝐁𝐀𝐑𝐈𝐄𝐒 

DĂšs son arrivĂ©e au Congo, l’administration lĂ©opoldienne organisa la construction de chemins de fer, la mise en place d’une armĂ©e locale appelĂ©e « Force Publique » ainsi que l’exploitation des ressources en ivoire. Le travail forcĂ© devint systĂ©matique pour assurer la rentabilitĂ© de l’Etat dans lequel LĂ©opold II avait investi une partie de sa fortune personnelle.

Dans les annĂ©es 1890, un Ă©vĂ©nement inattendu allait assurer au monarque de l’EIC des profits considĂ©rables. Le succĂšs mondial du pneu en caoutchouc crĂ©a une demande Ă©normissime, Ă  laquelle personne n’était prĂȘt Ă  rĂ©pondre. Or des arbres revĂȘtus de lianes de caoutchouc sauvage recouvrait une grande partie du territoire congolais. Les fonctionnaires belges envoyĂšrent les hommes dans la forĂȘt par milliers, les contraignant Ă  rĂ©colter de grandes quantitĂ©s de cette matiĂšre premiĂšre. 

Selon l’historien Adam Hochschild (1), LĂ©opold II utilisait l’argent du caoutchouc pour financer des projets architecturaux colossaux en Belgique. Il construisit plusieurs maisons sur la CĂŽte d’Azur et entretint le train de vie grossiĂšrement luxueux de sa maĂźtresse. Pour cela, il incitait les fonctionnaires belges – alors payĂ©s au rendement – Ă  la pire des cruautĂ©s pour gagner toujours plus. Ces derniers usĂšrent d’une crĂ©ativitĂ© paraissant tout droit sortie de l’enfer, pour tirer le maximum de la population, qu’ils avaient depuis longtemps arrĂȘtĂ© de considĂ©rer comme des hommes. Ceci est confirmĂ© dans cette citation du journal amĂ©ricain Times, datant du 18 Novembre 1895 :

« La question du caoutchouc est au cƓur de la plupart des horreurs perpĂ©trĂ©es au Congo. Elle a plongĂ© la population dans un Ă©tat de total dĂ©sespoir. [
] Le caoutchouc est rĂ©coltĂ© par la force ; les soldats conduisent les gens dans la jungle ; s’ils ne veulent pas, ils sont battus, leurs mains sont coupĂ©es et portĂ©es comme trophĂ©e au commissaire. Les soldats se moquent bien de ceux qu’ils frappent et tuent, souvent des pauvres femmes sans dĂ©fense et des enfants inoffensifs ».

Parmi les autochtones, beaucoup choisissaient ainsi de se laisser mourir tant leur quotidien Ă©tait misĂ©rable. Chaque jour, ils devaient faire face aux meurtres, viols, fusillades, exactions de tout genre, prises d’otage et pillages de leurs biens.  Des pratiques atrocement barbares Ă©taient gĂ©nĂ©ralisĂ©es Ă  cette Ă©poque pour terroriser la population, comme la punition Ă  la chicotte (coups de fouet Ă  laniĂšres nouĂ©es pouvant engendrer saignements, blessures et dĂ©cĂšs de la victime) ou les mutilations des membres pratiquĂ©es sur les morts et les vivants.

En prenant en compte les assassinats, la famine, les maladies et la chute de la natalitĂ© causĂ©s par le rĂ©gime lĂ©opoldien, les historiens estiment que les pertes humaines s’élĂšveraient Ă  10 millions (soit prĂšs de la moitiĂ© de la population) entre 1890 et 1908.

QUAND LA SOIF DE JUSTICE POUSSE A L’ACTION

Comme au temps de l’esclavage, des voix s’élevĂšrent dans diffĂ©rentes parties du globe pour condamner ces crimes et rĂ©clamer la fin de ce systĂšme dĂ©pourvu d’humanitĂ©. Parmi elles, on peut citer l’afro-amĂ©ricain George Washington Williams (1849-1891) qui fut le premier Ă  dĂ©noncer l’esclavage dans lequel Ă©tait pleinement engagĂ©e l’administration lĂ©opoldienne. Il Ă©crivit notamment une lettre ouverte Ă  LĂ©opold II ainsi que des courriers au prĂ©sident des Etats-Unis en 1890. Le rĂ©vĂ©rend William Sheppard (1865-1927), premier missionnaire afro-amĂ©ricain envoyĂ© au Congo par l’Eglise presbytĂ©rienne en 1890, choisit Ă©galement d’ĂȘtre une voix pour les sans voix du Congo. En dĂ©nonçant les Ɠuvres meurtriĂšres des belges au Congo, il devint un grand ennemi du souverain. Il ne pouvait pas rester indiffĂ©rent face aux atrocitĂ©s subies par ce peuple, auquel il s’était liĂ© d’affection.

Le personnage emblĂ©matique de la lutte pour la fin de l’Etat IndĂ©pendant du Congo est le franco-anglais Edmund Dene Morel (1873-1924). Il Ă©tait agent de liaison pour une compagnie maritime quand il dĂ©couvrit que le peuple congolais Ă©tait sous le joug de l’esclavage. Il dĂ©dia prĂšs de 10 ans de sa vie Ă  une croisade contre le rĂ©gime de LĂ©opold II au Congo. Avec le diplomate britannique Roger Casement (1864-1916), il fonda la « Congo Reform Association », qui organisa des centaines de marches et confĂ©rences de sensibilisation aux Etats-Unis, en Grande Bretagne, en Australie etc. De plus, il Ă©crivit des milliers d’articles sur la situation congolaise ; rassembla de nombreux rĂ©cits de tĂ©moins des atrocitĂ©s qui s’y commettaient ; et trouva le soutien de citoyens et personnalitĂ©s dans le monde entier. A titre d’exemple, il rĂ©ussit Ă  rallier Ă  son mouvement Sir Arthur Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, qui Ă©crivit lui-mĂȘme un livre sur le sujet intitulĂ© « Le Crime du Congo » (3). Par sa dĂ©termination, Morel rĂ©ussit Ă  faire entrer le Congo dans l’agenda politique britannique et amĂ©ricain.

Finalement, la pression gĂ©nĂ©rĂ©e par ce mouvement d’ampleur internationale a contraint la Belgique Ă  nĂ©gocier avec LĂ©opold qui lui vendit le Congo. C’est ainsi qu’en 1908 fut signĂ©e la Charte coloniale donnant naissance au Congo belge. On parlera ici d’une libĂ©ration Ă  demi-teinte car, malgrĂ© une amĂ©lioration considĂ©rable des conditions de vie, certaines des atrocitĂ©s perdurĂšrent plusieurs annĂ©es et les terres tout comme leurs produits ne furent pas restituĂ©es aux autochtones.

CONCLUSION

Cette histoire, aussi terrible que vĂ©ridique, illustre la cruautĂ© se cachant derriĂšre la recherche effrĂ©nĂ©e de profits. Les enseignements que nous pouvons en tirer sont toujours d’actualitĂ©. Nous ne devons pas rester les tĂ©moins silencieux des dĂ©gĂąts causĂ©s par la cupiditĂ© des hommes. Contre les atrocitĂ©s qui ont lieu aujourd’hui encore au Congo et ailleurs, nous nous devons de parler.

 

(1) Les FantÎmes du roi Léopold : Un holocauste oublié, Adam Hochschild.

(2) Acte général de la conférence de Berlin de 1885.

(3) Le Crime du Congo belge, Arthur Conan Doyle.