DEUIL SANS FIN DANS L’EST DE LA RDC

 

Depuis bientôt trente ans, dans l’Est de la RD Congo, les années passent et se ressemblent. Pillage des ressources minières, destruction du patrimoine naturel, massacres, viols, climat de terreur et occupation des terres par des groupes armés illégitimes font partie du quotidien des habitants de la région. Alors que la deuxième guerre du Congo s’est officiellement terminée en 2003, le même cri de douleurs continue de se faire entendre depuis cette partie du globe et des millions de victimes et de familles endeuillées n’ont obtenu ni justice, ni réparation. Retour sur quelques événements des derniers mois et la situation inacceptable à laquelle beaucoup se sont habitués.

 

TUERIE DU 31 DÉCEMBRE À BENI

Le réveillon de la Saint Silvestre 2020 a été marqué par un autre massacre à Beni[1]. Plus de 25 personnes ont été assassinées dans cette ville située dans la province du Nord-Kivu. Les habitants ont été surpris alors qu’ils étaient dans leurs champs. Les assaillants ont utilisé des machettes pour démembrer leurs victimes. D’après plusieurs sources, dont les autorités locales, ces massacres seraient, une fois encore, l’œuvre des Allied Democratic Forces (ADF ou ADF-Nalu), en français « Forces démocratiques alliées ». Fondée en 1995, l’organisation ADF est un groupe armé ougandais regroupant  initialement des mouvements d’opposition au président ougandais Yoweri Museveni. Pour autant, la quasi-totalité de leurs attaques sont enregistrées en territoire congolais.

Depuis 2014, les actions de l’ADF-Nalu sont particulièrement sanglantes faisant de ce groupe l’un des plus meurtriers de la région[2]. En effet, des miliciens massacrent sans relâche la population de Beni et ses environs[3], et l’on estime à des milliers le nombre de leurs victimes dont plusieurs centaines dans la seule commune de Beni[4]. On observe que la zone d’action de ce groupe rebelle n’est jamais loin des positions des Forces Armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) et de la Mission des Nations Unies au Congo (MONUSCO) de plus en plus contestées par la population[5]. En effet, malgré leur logistique et leurs effectifs importants, les casques bleus et l’armée congolaise n’ont toujours pas réussi à mettre hors d’état de nuire ce groupe d’environ 600 personnes[6].

 

ATTAQUE MEURTRIÈRE AU PARC DES VIRUNGA CE 10 JANVIER

Le parc national des Virunga[7] est un site exceptionnel situé dans l’Est de la RDC et s’étendant sur près de 8000 km2. Il est protégé pour la richesse de sa faune et de sa flore et a été classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Il abrite plusieurs espèces rares comme les gorilles des montagnes. Cette zone est également le théâtre de nombreuses atrocités commises par des braconniers et des miliciens convoitant les nombreuses ressources dont regorgent son sol et son sous-sol. En vingt ans, environ 200 gardes forestiers y ont été tués[8].

Le 10 janvier 2021, 6 éco-gardes ont payé de leur vie en protégeant le sanctuaire des gorilles. L’attaque est attribuée à des miliciens Maï-Maï[9], nom attribué à différents groupes aux croyances mystiques mis en place pour combattre l’invasion rwandaise durant la deuxième guerre du Congo. Aujourd’hui, les Maï-Maï restent très présents dans l’Est de la RDC bien qu’ils manquent de coordination dans leurs actions et leurs revendications. Comme de nombreux groupes armés, ils ne sont plus nécessairement motivés par des requêtes politiques. La rébellion et l’illégalité sont tout simplement devenus un style de vie assumé où les miliciens vivent de leurs actes criminels. Ces derniers ont deux conséquences directes, d’une part le chaos profite à tous ceux qui jouissent des ressources naturelles illégalement et à moindres coûts ; d’autre part les civils ne connaissent toujours pas la paix mais plutôt un deuil qui ne s’arrête pas.

 

DES ENLÈVEMENTS ET DES VIOLS D’UNE EXTRÊME BARBARIE TOUJOURS EN COURS

Depuis les années 1990 et les conflits sanglants (génocide rwandais, première et deuxième guerre du Congo) qui ont caractérisé cette décennie, les différents groupes armés ont régulièrement recours aux violences sexuelles comme arme de destruction des communautés de l’Est du Congo. C’est ainsi que le pays a reçu il y a une dizaine d’années le terrible surnom de «  capitale mondiale du viol  » par l’envoyée spéciale de l’ONU pour les violences faites aux femmes et aux enfants dans les conflits[10]. Même si cette appellation reste le sujet de vives polémiques, tout le monde est d’accord sur le fait que de trop nombreux crimes sexuels ont été commis et que les récits des survivantes sont accablants. Quant à l’impunité dont jouissent les auteurs de ses actes inhumains, elle ne fait qu’empirer le climat de terreur et le désespoir des populations.

Une étude récente de l’ONG Human Rights Watch regroupe les témoignages de plusieurs victimes de kidnappings et viols commis dans le parc des Virunga[11]. Dans cette enquête très bien documentée (que nous vous recommandons vivement de lire) certaines victimes décrivent leur calvaire. Leur capture dans les champs ou sur le chemin pour regagner leur domicile. Les longues marches, mains liées, à travers la forêt. Les coups reçus et les meurtres commis devant tous pour imposer la soumission et la coopération. Les différentes formes de torture. La brutalité. Les viols cruels et systématiques subis par les femmes et les filles, souvent tous les jours et par plusieurs miliciens. Les armes, les machettes, les fusils. Les menaces de mort et la pression constantes exercées sur les familles pour obtenir une rançon plus importante. La soif, la faim. La nourriture sale et de très mauvaise qualité donnée de temps en temps. Le manque d’hygiène total, la boue, les odeurs nauséabondes. L’impossibilité de se laver pour celles qui étaient détenues loin d’une rivière. Les blessures physiques, morales et psychologiques. Les douleurs persistantes même après la libération et des traitements médicaux. Les déchirures vaginales. Les traumatismes et les cauchemars qui hantent les victimes des années durant. La difficile réinsertion dans la famille et la communauté. La stigmatisation, le rejet, l’incompréhension, l’abandon. Les dettes contractées par la famille pour payer la rançon. La peur quotidienne d’avoir à revivre la même chose, comme certains qui ont vécu plusieurs enlèvements. L’inaction des forces de l’ordre. Sur ce dernier point, l’impunité et le dysfonctionnement de la justice sont tels que beaucoup ne comptent plus sur les autorités pour les défendre et les aider.

Selon l’organisation Human Rights Watch, plusieurs groupes armés sont impliqués notamment les rebelles rwandais RUD-Urana, une faction dissidente des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR). Encore une fois, il s’agit d’un groupe d’origine étrangère qui occupe une terre illégalement en y exploitant ses ressources et ses habitants.

 

À QUAND LA JUSTICE…?

Au travers de ces événements, on peut se rendre compte que l’Est de la RDC ne connaît toujours pas la paix. En effet, des histoires similaires à celles-ci sont racontées toutes les semaines, tous les mois, tous les ans, et ce depuis trop longtemps. Les coupables d’exactions ne sont quasiment jamais poursuivis et condamnés. Le rapport mapping[12] paru en 2010 par les Nations Unies a mis en lumière les graves violations des droits de l’hommes commises entre 1993 et 2003 en RDC et a proposé des moyens de lutter contre l’impunité. Dix ans plus tard, les objectifs « de vérité, de justice, de réparation et de réforme » annoncés par l’ONU n’ont toujours pas été atteints. Ainsi, le rapport, qui établit clairement la responsabilité de plusieurs personnalités politiques congolaises et rwandaises, semble avoir été oublié et mis «  dans un tiroir  » par la communauté internationale, ce qui est « incompréhensible » selon le Dr Denis Mukwege[13].

Face à cette situation dramatique, plusieurs théories sont souvent avancées. Pour certains, ces exactions seraient en réalité l’œuvre des pays voisins, particulièrement le Rwanda qui aurait pour ambition d’annexer une partie du territoire congolais afin de mieux exploiter ses richesses[14]. Pour d’autres, il s’agirait d’un complot impliquant des multinationales avec la participation des forces onusiennes dans le but de justifier la présence de ces dernières afin d’exploiter illégalement les richesses du Congo[15]. Et enfin, certains pensent qu’au vu de l’indifférence généralement observée par la classe politique congolaise, et le silence assourdissant des médias publics, il s’agirait d’une complicité de certains hauts gradés des FARDC et des hommes politiques congolais. Ces derniers profiteraient de l’instabilité de l’Est de la RDC pour s’enrichir frauduleusement. Quoiqu’il en soit et quelque soit la thèse défendue, tous sont unanimes sur le fait que rien ne justifie la situation dans laquelle se trouve l’Est de la RDC et que ce cycle de violence se brisera uniquement quand l’impunité cessera.

L’avènement du nouveau Président de la République, Félix Antoine TSHISEKEDI à la tête de la RDC en décembre 2018, avait suscité une lueur d’espoir. D’autant plus que ce dernier a promis de faire de la paix à l’Est de la RDC l’une de ses priorités. Il a déclaré être favorable au mécanisme de justice transitionnelle et à la création d’un tribunal spécial pour les crimes de guerre commis au Congo[16]. Nous espérons que cela sera effectivement mis en place prochainement et que la justice finira par triompher. Malheureusement, le meurtre de l’ambassadeur italien Luca Attanasio avec son garde du corps et son chauffeur à l’Est de la RDC il y a quelques semaines[17]– évènement très couvert médiatiquement au niveau local et international – n’a pas produit les résultats attendus. En effet, plusieurs pensaient que cela aurait occasionné une prise de conscience et des décisions fortes pour lutter contre les violences de l’Est de la RDC. Cela n’a pas été le cas et l’assassinat de l’auditeur militaire de garnison près du Parquet militaire de Rutshuru quelques jours plus tard sur la même route[18] en laisse beaucoup pessimistes.

Ne voulant pas devenir insensibles à cette souffrance qui semble être sans fin, nous prions pour les populations endeuillées de l’Est de la RDC. Nous nous devons d’utiliser notre plume pour écrire, nos larmes pour compatir, nos voix pour crier et nos ressources pour aider. Car ce sont des vies qui disparaissent, des familles qui sont détruites, des communautés qui s’éteignent et s’enfoncent dans le désespoir. Puisse YHWH écouter leurs cris !

«  Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où me viendra le secours ?  Mon secours vient de YHWH qui a fait les cieux et la Terre » (Psaumes 121:1-2).

#Prions pour la RDC
#Rapport mapping
#Fin de l’impunité en RDC
#Plus jamais ça!

1. https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/01/01/rdc-au-moins-25-civils-tues-dans-une-sanglante-attaque-du-groupe-adf-a-beni_6064971_3212.html

2. https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190420-rdc-adf

3. https://www.jeuneafrique.com/888783/politique/rdc-nouveau-massacre-a-beni-apres-une-breve-accalmie/

4. https://www.france24.com/fr/émissions/focus/20201214-rd-congo-dans-le-nord-kivu-les-autorités-impuissantes-face-aux-violences

5. https://monusco.unmissions.org/nord-kivu%C2%A0-la-population-appel%C3%A9e-%C3%A0-soutenir-l%E2%80%99arm%C3%A9e-et-la-monusco-dans-la-lutte-contre-l%E2%80%99ennemi

6. https://information.tv5monde.com/afrique/en-rdc-qui-est-la-rebellion-adf-qui-sevit-dans-la-region-de-beni-334045

7. https://www.netflix.com/fr/title/80009431

https://fr.wikipedia.org/wiki/Virunga_(film)

8. https://www.courrierinternational.com/article/violences-le-parc-des-virunga-en-rdc-un-refuge-pour-les-gorilles-mais-aussi-pour-les

9. https://www.france24.com/fr/afrique/20210110-rd-congo-au-moins-six-rangers-tués-dans-une-attaque-dans-le-parc-des-virunga

10. https://www.jeuneafrique.com/155899/societe/la-rdc-capitale-mondiale-du-viol/

11. https://www.hrw.org/fr/news/2020/07/30/rd-congo-kidnappings-et-viols-en-serie-dans-le-parc-des-virunga

12. https://www.ohchr.org/documents/countries/cd/drc_mapping_report_final_fr.pdf 

13. https://www.youtube.com/watch?v=gu8YnCR5aLU

14. https://www.parismatch.com/Actu/International/Congo-Le-rapport-qui-accuse-kivu-rwanda-154706

15. https://www.jeuneafrique.com/861232/politique/rdc-le-camps-de-la-monusco-a-beni-envahi-par-des-manifestants/

16. https://www.france24.com/fr/afrique/20200124-guerres-en-rdc-les-ravages-de-l-impunité

17. https://www.lepoint.fr/afrique/rdc-ce-que-l-on-sait-de-l-attaque-qui-a-coute-la-vie-a-l-ambassadeur-d-italie-22-02-2021-2414974_3826.php

18. https://www.radiookapi.net/2021/03/03/actualite/securite/nord-kivu-lauditeur-militaire-du-parquet-de-rutshuru-est-mort-dans-une