SORTIR DE LA SPIRALE DE LA DROGUE: ENTRETIEN AVEC JULIO ET FANO

Lors d’une mission évangélique en octobre 2023, nous avions fait la connaissance d’un jeune homme appelé Tsiory (1) dont l’état de santé nous avait laissés sans voix. Victime directe ou indirecte de la drogue, ce jeune homme a payé le prix fort d’une situation qui le dépasse personnellement. Dans les faits, à cause d’un vol, il s’est retrouvé alité pendant de longs mois, ne pouvant même pas s’asseoir. Dans le quartier d’Ambatondrafandrana, dans la ville appelée la Haute, la plupart des jeunes sont défavorisés et sans perspectives. Cette situation a été comme un fertilisant pour le trafic de drogue et d’autres activités illicites, dont Tsiory a été mal heureusement l’une victime.

Tsiory

Mobilisés pour lui venir en aide, nous étions attristés lorsque nous avons appris son décès. Mais celui-ci, loin de nous décourager, a été un appel à faire plus pour d’autres jeunes désirant sortir de cette spirale. Parmi ces jeunes se trouvent Fano et Julio, que nous avions rencontrés et qui ont accepté de nous partager leurs réalités et leurs aspirations, entourés de leurs proches.

Julio (à gauche) et Fano (à droite)

Nous avons en fait sombré dans la drogue

QUEMP : Comment se passe la vie des jeunes ici ?

Julio : La plupart des jeunes d’ici n’ont pas de travail.

QUEMP : Et que font-ils alors s’ils n’ont pas de travail ?

Julio : Il y en a qui gardent les voitures dans les parkings, puisent de l’eau ou transportent les affaires des gens.

Maman de Julio : Et ceux qui ont été à l’école, qui ont appris les langues, travaillent comme guides. Leurs aînés, par exemple, sont tous devenus des guides, mais les jeunes de la même génération que Julio ne trouve rien à faire.

Julio : Nous avons en fait sombré dans la drogue.

Maman de Julio : Oui, surtout la drogue.

QUEMP : C’est là justement où je voulais en venir. Comment se passe cette consommation de drogue ? Si l’on faisait une estimation statistique, combien de pourcentage de jeunes en consomment dans ce coin ?

Julio : Ah, c’est beaucoup !

Maman de Julio : Environ 70 % des jeunes d’ici.

Julio : Non, 85 %.

Maman de Julio : …Les garçons, hein…

Sœur de Julio : Les moins de 20 ans.

Maman de Julio : En fait, toute la génération de Julio est concernée.

QUEMP : Mais trouvez-vous que ces jeunes ont vraiment besoin de la drogue ?

Maman de Julio : Non, ils n’en ont pas besoin.

Sœur de Julio : En plus, ils perdent de l’argent.

Maman de Julio : Ces jeunes sont de la génération de Julio, parmi eux des amis même. Ils auraient pu réussir en continuant leurs études comme lui. Mais dès que les drogues ont fait surface, tous les jeunes se sont rués dessus. Ils n’étaient pas du tout dans ces choses avant, mais dès que les « rôrô » et tout ça ont pris de l’ampleur, ces jeunes ont commencé à abandonner l’école par paresse.

QUEMP : Il est à l’école, Julio ?

Maman de Julio : Il vient d’avoir son bac… Il n’est pas encore à l’université, mais il prend des cours de conduite chez une auto-école.

QUEMP : On peut dire que Julio s’en sort un peu mieux que les autres ?

Maman de Julio : Oui.

Sœur de Julio : Oui, en plus on s’entraide entre frères et sœurs…

j’ai toujours voulu être infirmier 

QUEMP : Julio, quel est donc ton souhait suite à cette obtention de ton bac ?

Julio : Mon souhait ? Depuis toujours, j’ai toujours voulu être infirmier.

QUEMP : Est-ce vraiment ce que tu aimes ?

Julio et sa maman : Oui.

QUEMP : Est-ce que toi, Julio, tu as déjà pris du « rôrô » (nom de la drogue) ?

Julio : Non, non, je suis toujours comme ça.

QUEMP : Non, c’est juste une question sans jugement.

Maman de Julio : Non, Julio ne prend pas de « rôrô », mais lorsqu’il est avec ses amis alcooliques, il prend de la bière… Mais ce n’est pas tous les jours non plus.

Sœur de Julio : Ah, vous avez pensé à ça peut-être à cause de ses yeux (rire).

Maman de Julio (rire) : Oui, ses yeux ?

Maman de Julio (à gauche) et sa sœur (à droite)

QUEMP : Ah non, voyez-vous, le but en fait, aujourd’hui on n’a vu que Julio et Fano, mais il y a encore de nombreux jeunes à interroger, mais aujourd’hui c’était leur tour car ils étaient présents.

je n’ai pas pu continuer mes études

QUEMP : D’accord, c’est au tour de Fano maintenant. Si tu es d’accord, Fano, fais-nous une petite présentation de qui tu es.

Fano : Je m’appelle Fano, Fanomezantsoa, mais les gens me connaissent par Fano ou « dadan’i Fabrice » (qui veut dire papa de Fabrice).

QUEMP : Quel âge as-tu, Fano ?

Fano : Demain, j’aurai 31 ans.

QUEMP : Que penses-tu, Fano, de cette histoire de drogue ?

Fano : Ah, c’est un grand fléau. En plus, comme les gens n’ont pas d’occupations, ils s’influencent dans les mauvaises choses. Comme tu l’as dit, s’ils ont même juste 500 Ariary (monnaie malgache), ils appellent, ils perdent leur temps dans la libation. Il y a un manque de divertissement dans notre quartier, du coup, ils se ruent là-bas.

QUEMP : Que fais-tu dans la vie, Fano ?

Fano : Ben, mon travail, comme je vous l’ai déjà expliqué, c’est un peu compliqué car je n’ai pas de contrat fixe. Mon travail n’est pas stable du tout.

QUEMP : Donc c’est juste un petit boulot temporaire ?

Fano : Oui, parce que je n’ai pas pu continuer mes études, donc je fais toutes sortes de petits boulots pour subvenir aux besoins de la famille (sa femme et ses deux enfants).

QUEMP : Tu as arrêté l’école en quelle classe ?

Fano : Quand j’ai eu mon BEPC.

QUEMP : C’était quoi ton souhait quand tu pouvais encore étudier ?

Fano : Mon souhait était de devenir chauffeur de l’État, être fonctionnaire de l’État quoi.

QUEMP : Combien d’enfants as-tu, Fano ?

Fano : J’en ai deux, mais peut-être j’en aurai un troisième (rire).

QUEMP : (Rire) Peut-être ou il y a vraiment un troisième en cours ?

Fano : Oh oui (rire).

Ils doivent absolument trouver de l’argent en 1 heure pour acheter ces drogues

QUEMP : À ton avis, Fano, est-ce que les jeunes seraient motivés s’il y avait du travail pour eux ?

Fano : C’est une très bonne idée, je pense que la plupart seraient partants, mais ça ne va pas être facile pour eux non plus, surtout le temps à cause de la drogue. Si les cours, par exemple, durent trop longtemps, ils vont être en manque…

Julio : S’il y a juste un retard de 1 heure, par exemple, dans la prise de la drogue, ils ne vont pas supporter.

Fano : Mais ce délai d’1 heure là, vous imaginez un peu, ils habitent ici et pourtant ils partent à Isotry pour acheter ces drogues-là, et c’est vraiment triste tout ça.

Maman de Julio : Ils doivent absolument trouver de l’argent en 1 heure pour acheter ces drogues.

Tante de Julio : ils volent même des « saosety » (légumes de chez nous), des poules…

Maman de Julio : Même des vêtements étendus dehors.

Tante de Julio : Peu importe le prix, même si c’est rien du tout, 3000 AR, ils prennent ça puis ils les vendent juste à côté, ils ne se prennent pas la tête.

QUEMP : Et les gens achètent ça ??? (choqué)

Tante de Julio : Oui, les gens achètent car ils voient que ce n’est pas cher du tout, et c’est toujours comme ça… les gens d’ici savent déjà que c’est un tel ou un tel qui a volé et ils en ont marre en fait de les poursuivre à chaque fois… De plus, ils trouvent que ça fait pitié, c’est dommage pour ces jeunes d’être en prison… Du coup, les gens restent juste prudents dès qu’ils voient que les jeunes sont dans les parages… C’est toi qui dois être prudent et tu fermes ta porte, tu ne pourras pas les poursuivre à chaque fois…

QUEMP : Je pense que c’est ce qui s’est passé avec Tsiory, non ?

Fano et Maman de Julio : Oui, c’est ce qui est arrivé à Tsiory aussi.

Tante de Julio : Il s’est fait huer par les gens d‘ici.

Fano : Il a couru pour rien du tout.

Tante de Julio : En fait, il est passé une deuxième fois dans un lieu où il avait déjà volé quelque chose.

Fano : Oui, il passait juste comme ça.

Tante de Julio : Oui, mais les gens l’attendaient en fait, ils attendaient qu’il passe pour le condamner et ils ont dit : « le voilà, le voilà, c’est lui le voleur ».

Fano : Oui, il est passé et il a eu peur, il a couru.

QUEMP : Ah, donc il est tombé après ?

Tante de Julio : Il a couru pour fuir car les gens lui ont crié dessus et l’ont condamné.

Fano : Les gens l’ont carrément poussé en bas, quoi.

Maman de julio : si par exemple il y a des boulots adaptés à chacun de ces jeunes, qui rapportent directement de l’argent tous les jours par exemple, c’est-à-dire qu’après la journée du travail il perçoit directement leur paie, je suis sure qu’ils seront motivés à travailler, plutôt que voler pour s’acheter de la drogue .

QUEMP : On vous remercie… On va devoir vous quitter…

Fano et Julio : Merci beaucoup, nous avons été ravis de votre visite.

QUEMP : Que le Seigneur guide chacun de nous et que la paix du Seigneur demeure dans votre maison

Maman de Julio, Julio, Fano: Oui, merci beaucoup, au revoir

Sources:

(1)https://quiestmonprochain.com/articles/madagascare-quand-la-drogue-fracasse-une-vie/