« Le malheur des uns fait le bonheur des autres ». Ce proverbe est particulièrement vrai au Congo. Les abondantes ressources naturelles de ce pays ont servi et continue de servir directement à la production en masse de nombreux produits de grande consommation, et ce au péril de la vie de millions de Congolais. Ainsi, l’histoire de l’invention du pneu en caoutchouc ne pourrait se résumer au simple dépôt d’un brevet. Cette découverte a plongé tout un peuple dans l’une des plus grandes tragédies de l’histoire humaine. 

UNE DECOUVERTE GENERANT UNE FORTE DEMANDE EN CAOUTCHOUC

Le pneu gonflable en caoutchouc a été créé par l’écossais John Boyd Dunlop (1840-1921) {1}. Un jour, il eut l’idée d’entourer les roues de la bicyclette de son fils avec des tubes en caoutchouc remplis d’air. Il déposa le premier brevet de pneumatique en 1888, et fonda la société Dunlop avec l’industriel William Harvey Du Cros (1846-1918) en 1889.
Son invention améliora le confort, la vitesse et l’adhérence sur la route ; elle rencontra un grand succès tout d’abord dans le monde du vélo. Les innovations apportées par les frères Michelin au travail de Dunlop ouvrirent de nouveaux marchés à une époque où se développaient les transports routiers, notamment l’automobile et la motocyclette1. 
Ces prouesses techniques ont causé une demande exponentielle en caoutchouc. En ce temps-là, personne n’était préparé à fournir un marché d’une telle ampleur ; les besoins à l’échelle planétaire étaient tout simplement gigantesques. Un homme se lança le défi de satisfaire ce secteur en plein essor. Il s’agit de Léopold II (1835-1909), roi des Belges et propriétaire de l’Etat Indépendant du Congo. Une grande partie de son territoire d’Afrique centrale était composée de la forêt équatoriale, où des lianes de caoutchouc sauvage recouvraient les arbres. Le souverain devint ainsi le premier fournisseur mondial de caoutchouc {2}. 

 

UN PEUPLE SACRIFIE POUR LE BIEN-ETRE DES AUTRES

Pour maximiser ses profits et jouir de son quasi-monopole, Léopold II et son administration allèrent jusqu’au pire. Privées de tout, les populations autochtones subirent, en plus du travail forcé, des prises d’otages, des viols, des massacres de masse et des mutilations. Le peuple congolais vivait dans des conditions inhumaines et était quotidiennement soumis à des pratiques barbares.

Par exemple, les travailleurs ne donnant pas satisfaction étaient réprimandés par des coups de chicotte – fouet à lanières nouées, généralement en peau d’hippopotame séchée. Les hommes recevaient jusqu’à cent coups de chicotte alors qu’ils étaient nus et attachés par les membres. Ces punitions pouvaient engendrer des saignements, des blessures graves et parfois même la mort des hommes, déjà très affaiblis par le lourd poids de la servitude.

Dans son livre « Le Crime du Congo belge », Arthur Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, a décrit les agissements du monarque belge comme étant « le plus grand crime jamais commis dans l’histoire de l’humanité » {3}. En effet, le régime de terreur mis en place pour exploiter le caoutchouc (et d’autres ressources, à moindre échelle) coûta la vie à 10 millions de Congolais entre 1890 et 19084.

 

CONCLUSION

L’histoire dramatique du caoutchouc congolais est à présent terminée. Cependant, Léopold II fit définitivement entrer le Congo dans le cercle infernal de la mondialisation. De la période coloniale jusqu’à maintenant, l’exploitation injuste des ressources congolaises n’a jamais cessé. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les mineurs Congolais furent contraints d’extraire de grandes quantités d’uranium pour la production de la bombe atomique par les Américains. Aujourd’hui encore, les minerais congolais sont au cœur d’un conflit ayant causé environ douze millions de morts en une vingtaine d’années. 
Jusqu’à quand ferons-nous passer notre confort avant la vie d’un peuple de la même nature que nous ? 

 

{1} https://buff.ly/2lm9kzb
{2}– Il pleut des mains sur le Congo, Marc Wiltz
{3} – Le Crime du Congo belge, Arthur Conan Doyle
{4} – Les fantômes du roi Léopold, Un holocauste oublié, Adam Hochschild